Le 23 février 2006, Pierre Richard reçoit un César d’honneur des mains de Clovis Cornillac, puis délivre un discours inoubliable :

« Quand j’ai appris par Dominique Besnehard, que personne peut-être ne connaît dans la salle… c’est mon agent, c’est mon ami… Quand il m’a dit que j’allais avoir le César d’honneur, j’ai tout de suite foncé sur ma moto, j’ai couru vers le docteur Zuccarelli, le docteur des assurances, j’ai dit : “Qu’est-ce que vous leur avez raconté ? Non mais, c’est si grave que ça, docteur ? Dites-moi sincèrement, j’en ai plus pour longtemps ou quoi ?”. Ah non, parce que je le connais le coup du César d’honneur, hein : un dernier petit César pour la route, et hop !
Bon, alors ce que je tiens à vous dire, c’est que les choses soient claires : je pète le feu, toujours, je pète la forme, je pète même tout ce qui passe à portée de ma main. Oui, je vais très bien. Alors, du coup, je suis passé de l’inquiétude à la perplexité : pourquoi moi ? Pourquoi moi ? D’ailleurs je vois au silence de la salle que vous vous dites aussi : « pourquoi lui ? » Je le vois bien, ça. « Pourquoi lui ? » Oui, moi qui me suis toujours complu au fond de la classe près du radiateur avec les cancres de mon espèce, et voilà tout à coup qu’on me demande de paraître devant les premiers de la classe, les médaillés de l’interprétation, de paraître devant mes pairs, moi qui n’ait jamais été qu’un impair.
Alors c’est vrai que le César, c’est quoi ? C’est une récompense, une récompense pour un travail bien fait. Un travail bien fait, moi qui n’ai jamais eu la notion du travail. Quarante ans de vacances, quarante ans de récréation, je peux dire. Et moi qui ne conçois la création que dans la récréation. C’est bien simple, dès que j’entends une cloche sonner qui appelle au travail, je fonce dans les toilettes, je me cache jusqu’à la prochaine pause.
Mais enfin ce César, je le prends avec joie. Je le prends même avec beaucoup de joie.
Oh, j’en connais qui rigolent là-haut : Blier, Carmet, Darry, à qui j’avais dit que je ne l’aurais jamais, et que si même on me le donnait je le refuserais. Ça, ils doivent bien rigoler.
Mais je l’accepte avec joie par respect pour tous mes amis, pour tous ceux qui m’ont aimé, tous ceux qui m’ont suivi, qui m’ont même aidé dans les moments difficiles de ma vie. Puis aussi par respect pour le public, qui a de la mémoire.
Alors si vous voulez bien, ce César, j’ai envie de le partager avec tous ceux qui ne l’auront jamais, parce qu’ils n’ont pas eu de rôle « césarisable », parce qu’ils ont eu la malchance d’avoir trop de succès peut-être, ou bien parce qu’ils ont eu la malchance de ne pas avoir eu du tout de succès, et de ne pas avoir eu du tout de rôle, ça, il faut y penser aussi. Je le partage avec eux.
Puis la dernière chose que je voudrais vous dire, c’est que vous savez, moi, j’aurais voulu être les petits pains de Chaplin, vous savez, qui se déguisent en danseuse. J’aurais voulu être le chapeau de Buster Keaton, la harpe de Harpo, les jambes de Jerry Lewis ou de Jacques Tati. Je ne suis pas Keaton, je ne suis pas Tati, mais je sais simplement qu’on ne peut pas s’approcher des grandes choses sans en être grandi soi-même.
Alors c’est grâce à eux que j’ai fait ce métier, parce qu’avec eux, on peut toucher le fond des choses mais du bout des doigts, dans un éclat de rire comme ultime élégance, ne pas s’y brûler tout à fait. Et ce que je ressentais comme tout le monde, ils m’en ont parlé comme personne. Merci à eux, merci à vous. »

Pierre Richard

Pierre Richard et son César d'honneur le 23 février 2006 au Théâtre du Châtelet - © François Mori